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Premiers jours comme médecin
Vincent - 12 septembre 2043
Sur mon écran s’affiche le dossier d’un des 200 patients du cabinet. Je ne l’ai encore jamais vu en consultation mais je me dois de le connaître sur le bout des doigts. Bien sûr, il n’est pas question de connaître par cœur l’intégralité du parcours de santé de chacun mais plutôt d’y aller progressivement. Les patients les plus sensibles en premier avec le plus grand détail et ensuite les autres. Aujourd’hui l’Etat français est tenu garant de la bonne santé de ses citoyens et il a un devoir de moyen et de résultat. Avec le bilan annuel sur l’état du pays, il lui était difficile de faire autrement de toute façon.
Nous, les médecins, sommes maintenant des fonctionnaires de santé. A ce titre, les collectivité nous mettent à disposition des locaux et tout le matériel nécessaire pour exercer notre profession. Au début, cela a paru un peu difficile pour les populations mais avec l’esprit mutualiste qui s’est développé après les grandes crises des années 2020, les choses se sont rapidement organisées. Des locaux vacants ont été transformés en petits cabinets médicaux, les frais énergétiques, depuis les grandes campagnes de rénovation, étant relativement faibles (cela se limite à de l’éclairage, le matériel électronique et parfois un peu de chauffage), les charges sont incluses dans les impôts locaux des patients. En contrepartie, l’accès à un médecin est devenu d’une simplicité extrême.
Dans la plupart des cabinets de quartiers comme le mien, il y a deux médecins et une aide de soins pour 300 patients. A trois, nous nous répartissons les tâches en fonction de nos temps de travail respectifs et des besoins de santé. L’avantage de la médecine de quartier, c’est que nous sommes à une distance très proche de nos patients. Moins de 10 minutes en ville et au maximum, 20 en campagne. D’ailleurs, la plupart du temps, ce sont les médecins qui se déplacent et plus l’inverse. Le cabinet étant surtout réservé pour les bilans de santé un peu plus lourds mais qui n'arrivent qu’une fois par an. Avec cette organisation, nous pouvons voir chacun de nos patients au moins une fois par mois. Bien sûr, c’est rarement fait en pratique mais chaque patient que nous ne voyons pas est du temps que nous pouvons allouer aux patients qui en ont le plus besoin. C’est un luxe que les gens n’avaient pas quelques années en arrière.
En complément de cette médecine de quartier, des centres multi-soins sont accessibles à moins de 30 minutes et regroupent tous les spécialistes indispensables à la population. Ces centres rassemblent toutes les facilités nécessaires au bon suivi des patients : imagerie médicale, chirurgie, obstétrique, rééducation, laboratoires d’analyse,... Et bien sûr la coordination entre les cabinets de quartiers et les centres multi-soins fait partie de notre quotidien. Chaque patient reçu ou envoyé dans un centre est accompagné de son dossier médical mais surtout d’un échange téléphonique pour que toutes les informations soient bien transmises tant pour l’accueil que pour le suivi du patient. Certains patients les plus âgés me racontent parfois comment avant tous ces changements, les médecins travaillaient souvent à l’aveuglette avec pour seul support des résultats d’analyse et la bonne parole du patient et de ce qu’il avait compris. Aujourd’hui, si vous passez une radio ou une prise de sang, le centre multi-soins nous contacte directement pour expliquer son bilan et nous échangeons ensemble sur la suite à donner. Cela nous paraîtrait absurde de ne pas le faire d’ailleurs.
Et je ne parle même pas des équipes de renforts composés de médecins et aides de soins locaux sur leur temps communautaire qui viennent nous soutenir régulièrement quand ce ne sont pas des équipes volantes spécialement dédiées au soutien.
Mais plus que l’organisation médicale, c’est aussi la formation des médecins de quartier qui a changé. Aujourd’hui, les premières années de médecines sont consacrée à la médecine familiale qui inclut de la médecine générale, pour s’occuper des maladies courantes et du suivi médical de celles qui sont plus lourdes pour les patients, mais aussi de l’obstétrique et de la maïeutique ainsi que de la diététique et de la physiothérapie et même de la psychologie. Nous sommes formés pour répondre au mieux aux besoins de la santé quotidienne. Et il en va de même pour les aides de soins qui, s' ils ne sont pas spécialisés dans le diagnostic et la médicamentation, sont parfaitement aptes, voire souvent plus aptes que nous, pour appliquer la grande majorité des soins.
En fait, c’est aussi un changement de culture qui s’est produit. Là où le médecin était avant tout en charge de soigner, nous sommes maintenant surtout en charge de prévenir les maladies.
Pour nous aider aussi, le ministère du vivant et le reste du gouvernement se mobilisent fortement pour la prévention. Sur les 10 ou 15 dernières années, c’est tout un bouleversement de nos vies qui a aussi contribué à améliorer les conditions de chacun. Alimentation biologique, mesures de réduction de la pollution, augmentation des moyens pour l’activité physique, amélioration des conditions de travail et de vie…. Autant de transformations qui font qu’aujourd’hui la population n’a jamais été en aussi bonne santé.