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O3

Profession Bidouilleuse

Nora - 22 avril 2043

Ça fait une heure que je me casse les neurones sur ce truc. Je ne trouve pas l’astuce. Je jette un œil autour de moi, l’atelier déborde de projets. Un cadre de vélo en bois de récupération, des carcasses d’ordinateurs, une vieille tondeuse à essence, des dizaines et des dizaines de morceaux de bois qu’ils soient sortis de scierie ou de récupération et des plans, accrochés partout sur les murs. Il faut dire que tout y passe, mobilier sur-mesure, réparation ou réaffectation d’appareils électroménager, électroniques ou mécaniques. Je peux passer de la modification d’un moteur de voiture à la fabrication d’un îlot tout-en-un démontable (c’est-à-dire qui comprend cuisine, rangements, buanderie, bureau et espace de nuit) pour un appartement étudiant de quelques mètres carrés.

Je suis ce qu’on appelle une bidouilleuse, une bricoleuse multifonction. Je prends un truc qui ne marche pas et je fais en sorte qu’il marche de nouveau, ou en tout cas qu’il marche dans son nouvel environnement. Je ne fais pas que de la réparation. J’adapte, je transforme, je crée des trucs pour rendre la vie des gens plus simple. Prenons mon projet du jour par exemple.

Cette dame a un lave-linge qu’elle possède depuis plus de 15 ans. Il tourne toujours même si elle sent bien qu’il commence à être moins performant. 15 ans pour une machine de ce genre, c’est un âge plus que raisonnable. Problème, elle vient d’emménager dans un nouveau logement et son antiquité n’est plus du tout adaptée aux normes actuelles. Il y a dix ans, un grand plan de rénovation des bâtiments a été lancé. L’objectif : limiter l’impact écologique de ces derniers. La méthode : isolation, écologisation des structures sanitaires et énergétiques et adaptation de la taille des logements. Un logement plus petit, c’est un logement qu’on chauffe moins, qui consomme moins d’énergie et qui prend moins de surface au sol. Problème, les gens se sont vite retrouvés avec du matériel trop gros pour leurs nouveaux logements.

C’est là que les bidouilleurs interviennent. Plutôt que de faire racheter des équipements à tout le monde, on les bidouillent. Et là, je dois retirer presque 20 cm de chaque côté, ce qui fait quasiment la moitié de la largeur totale de la machine. Rien que le tambour prend quasiment toute la taille. Je ne suis pas sortie de l’auberge. Enfin, ce n’est pas rien, je sais que je vais trouver la solution et au pire je passerai un appel au réseau des bidouilleurs. Il y en a forcément d’autres qui ont été confrontés au même problème.

Parce qu’entre bidouilleurs, on aime se refiler des tuyaux et se donner des coups de main. C’est notre culture, très inspirée par celle d’internet et de l’open source. On partage toujours nos plans, nos idées, nos projets pour que les autres puissent s’en servir ou les améliorer. Mais rien ne nous enlève le plaisir du défi de faire. De faire des choses qui peuvent sembler impossible. C’est dans notre ADN, un bon bidouilleur est un bidouilleur qui cherche toujours à faire mieux, à trouver une approche plus simple, plus élégante. A résoudre des problèmes complexes tout en étant les plus économes possibles en énergie et en ressources. On recycle. On transforme.

Sur mon lave-linge par exemple, je vais réutiliser quasiment l’intégralité des pièces. Je vais découper les parois, les adapter, réutiliser le hublot ou le moteur (ou le remplacer par un autre mais je vais les conserver pour un autre projet). On ne jette rien, ou alors seulement ce qui ne pourra pas être réutilisé ou recyclé. C’est tout l’esprit de la bidouille.

Moi, je suis tombée dedans assez jeune. J’ai toujours été curieuse et j’avais cette envie de comprendre comment fonctionnaient les choses. Alors je cherchais. Et puis avec Youtube (c’était un site de partage de vidéos qui n’existe plus aujourd’hui, la décentralisation d’internet lui ayant fait perdre son monopole), j’ai découvert le monde du DIY. Des gens qui expliquaient comment fabriquer une station de travail avec ordinateur intégré dans un tiroir, comment mettre en place un réseau domotique ou réparer ou reconvertir un mixer … C’était fou. Petit à petit j’ai commencé à faire, j’ai rejoins des Repair Cafés, j’ai appris toujours plus de choses au point qu’aujourd’hui, j’y passe le plus clair de mon temps. Mais j’adore ça. Je continue à rendre service aux repairs cafés du coin une à deux journées par semaine et le reste du temps, je le passe dans mon atelier. Soit à bidouiller des choses pour moi ou des personnes, soit en organisant des stages où je vais faire découvrir une thématique à travers un projet. Le dernier, par exemple, consistait à créer un média-center à partir de vieilles pièces informatiques et de l’intégrer dans un boîtier en bois (de récup aussi bien entendu). On a ainsi pu parler réseau, stockage des ressources, qualité d’images et compagnie.

Allez, il est temps que je retourne à mes affaires. Ce lave-linge ne va pas se transformer tout seul.