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Paris à vélo
Antoine - 7 juillet 2043
Les bâtiments haussmanniens se parent d'un éclat doré. Le jour se lève et je suis en route pour me rendre au travail. J'inspire profondément, remplissant mes poumons de ce souffle revigorant. L'air est si frais. Dire que quelques années plus tôt, ce plaisir n'aurait pas été le même.
Depuis la grande campagne de végétalisation de la ville, nous sommes loin des 25°C au lever du jour que l'on pouvait avoir dix ans en arrière. Les canicules, si fréquentes, sont beaucoup moins difficiles à vivre maintenant. Avec des pointes à 45°C à la même époque de l'année, c'était devenu invivable. Alors on a fait sauté le béton et le bitume qui absorbait toute cette chaleur. Des bandes de terres brutes sont apparus un peu partout dans Paris et rapidement, la végétation à repris ses droits. De longues traces vertes longent les trottoirs empiétant sauvagement sur la chaussée qui se retrouve partout limitée à une ou deux voies réservées pour les vélos, les transports en commun et les derniers camions de livraisons. Ces derniers ont d'ailleurs été pour la plupart remplacés par de bonnes vieilles charrues tirées par des chevaux.
Étrangement, l'ambiance générale a changé. Quand mon me raconte le Paris pré-écologique, on me décrit des gens pressés et nerveux, l'air maussade et renfermé, enfermés dans une course à traverser la ville le plus rapidement possible. Aujourd'hui, les choses sont bien différente, tout est plus calme, plus lent, plus doux. Les campagnes de blocage des prix du logement, de quota limitant d'installation d'entreprises dans les grandes villes et de diminution du temps travail-domicile y ont largement contribué. Mais je reste persuadé que la transformation de la ville fait aussi son petit effet.
Je m'engage sur la Place de l’Étoile. Avant, un cycliste aurait mis sa vie en jeu en la traversant, l'absence de la voiture à bien changé la donne. Les voies les plus proches de l'Arc de triomphe ont été transformées en une ceinture verte arborée qui entoure le monument d'un bel écrin émeraude, appuyant sa majesté. Je bifurque sur les Champs Élysées.
Comme dans beaucoup de rues à travers le pays, de grandes toiles rétractables ont été installées au dessus de la chaussée. Si les trottoirs sont en partie protégés par la végétation, il nous a fallu trouver des solutions pour les rues et routes où c'était impossible à mettre en place. Aujourd'hui avant les heures les plus chaudes ou les jours de pluie, ces voiles se déploient au dessus de nos têtes pour nous protéger de l'eau et de la chaleur. Dans certaines rues, les habitants se les sont appropriés. Ils les décorent, les habillent de motifs traditionnels, offrent à des artistes l'opportunité de dévoiler leurs œuvres. On peut passer d'une rue aux milles couleurs à un quartier exposant des toiles de maître partout. Ils les adaptent au gré des saisons et de leurs envies. Fini la ville neutre, bienvenue dans la ville personnelle, vivante et vibrante de créativité.
Au bout des Champs Élysées, les jardins des Champs Élysées, la place de la Concorde et une partie du jardin des tuileries ont été reconvertis en verger et en potager urbain. Autour de l'obélisque de la Concorde, des artisans et les fermiers urbains se sont associés pour installer des points de distribution. Je m'arrête pour acheter un pain aux graines et un petit panier de framboises et de myrtilles à grignoter. Je reprends ma route et traverse la Seine en direction du Sud parisien.
Sur les quais, des manutentionnaires déchargent les péniches de leurs marchandises. Ils discutent et rient en hurlant à plein poumons, tout en chargeant les carrioles du précieux contenu qui se trouve sur les navires. Le transport fluvial a fortement repris. Sur le fleuve naviguent quotidiennement des péniches électriques et d’autres tractés par des animaux de traits. Sur certains tronçons, quand la puissance de la Seine le permet, une tyrolienne alimentée par des roues à aubes tire les navires par la force courant. La plupart des péniches font de courts trajets entre le centre de la ville et la bande verte qui fournit la majorité de l’alimentation des parisiens. On est bien loin des longues distances qu’elles pouvaient parcourir dans le temps.
Je m'approche des locaux de mon entreprises. Le trajet ne m'a pris qu'une petite demi-heure sans forcer. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, circuler en vélo ne fait pas tant perdre de temps. En réalité, sur de courtes distances, le vélo est quasiment aussi rapide que la voiture, surtout avec le trafic de l'époque. En plus c’est meilleur pour la santé. Rien qu’avec ce changement la plupart des citadins sont en meilleure forme qu’avant, avec tous les avantages que cela apporte. Les accidents ont quasiment disparu et surtout sont beaucoup moins graves. Il faut dire qu'un impact à la vitesse et avec la masse d'un vélo, ça n'a rien à voir avec celui que peut provoquer une voiture même à faible vitesse. C’est à se demander comment on a pu rouler aussi longtemps en voiture en ville.
Oui, c’est une habitude à prendre. Et au début, tout le monde était même plutôt réticent à cette idée. Mais aujourd’hui, je n’en connais pas beaucoup qui reviendrait à l’ancienne façon de faire.